"Êtes-vous animés par la volonté d'innover, d'être disruptif ?", a lancé Franck Nassah, vice-président recherche et consulting chez PAC en préambule. Si l'un des participants – tous DSI de grandes entreprises ou administrations – a immédiatement réagi en disant "Qui ne l'est pas ?", la réponse à cette question n'est pourtant pas aussi simple et évidente qu'il y paraît.
En effet, pourquoi être disruptif dans une organisation qui ronronne sur une marché captif, comme peut le faire une PMI de province sous-traitante de l'industrie automobile, par exemple ? En outre, quand bien même les métiers cherchent à être innovants et disruptifs, encore faut-il que la DSI et donc l'outil informatique soit perçu au sein de l'organisation comme potentiellement générateur de valeur ajoutée et donc d'avantages concurrentiels. Là encore, si tel n'est pas le cas, il n'y a pas de raison de vouloir être innovant et disruptif. "Je rencontre de nombreuses entreprises qui sont dans ce cas", confirme Olivier Rafal, principal consultant en charge des innovations business digitales chez PAC.
Mais si la concurrence, la réglementation ou les évolutions sociétales ont un impact quelconque sur l'activité de l'organisation, la réponse à la question posée se doit d'être "oui". Et dans ce cas, une transition vers une IT contextuelle s'impose. FNAC, Darty et autres grandes chaînes d'hôtels ne sont pas restés les bras croisés face à l'émergence de compétiteurs appliquant des modèles d'affaires innovants et disruptifs comme Uber, Amazon ou Airbnb et ont réagi. Nous verrons plus bas comment.
Deux piliers sont à considérer dans la démarche : l'apport de valeur au client dans son contexte et la révision et/ou l'optimisation des processus internes à l'organisation. " Avec le numérique, les utilisateurs prennent le pouvoir. Ils ont des exigences consuméristes et individuelles en termes d'agilité et de réactivité. Ce projet de transformation est un projet d'entreprise et non un projet IT", commente Olivier Rafal.
De quoi s'agit-il ?
Le modèle IT traditionnel est orienté processus, le plus souvent organisé en front-office, orienté vers le client, et back-office, qui prend quant à lui en charge les traitements internes et les relations avec les autres partenaires.
Mais, avec l'émergence de nouveaux modèles d'affaires, les besoins ont évolué et sont aujourd'hui très orientés métiers ; au-delà de la verticalisation des traitements, les deux analystes de PAC estiment que pour que l'entreprise reste dans la course, l'approche doit désormais se faire en fonction du "contexte", et être centrée sur l'usage et non plus sur les processus. Les clés de cette approche sont l'apport d'un service dans le contexte de l'utilisateur en se focalisant sur le comportement et non plus sur le "lock-in". L'optimisation doit se faire grâce à la donnée et aux algorithmes, les traitements devant viser l'émotion, clé du social business, et permettre une personnalisation en temps réel. En bref, une IT qui se conçoit en "plug and play".
De la même façon, les éléments de valorisation évoluent en parallèle. Les indicateurs traditionnels, auxquels nous sommes habitués, comme par exemple le chiffre d'affaires, les effectifs, les avoirs, la fidélité de la clientèle, la productivité, la trésorerie ou encore la longévité, s'ils demeurent pertinents dans certains cas, doivent être complétés. Ainsi, dans l'approche actuelle s'intéressera-t-on plutôt à de nouveaux indicateurs tels que le nombre d'interactions, l'expérience utilisateur, l'inventaire immatériel, la viralité ou la personnalisation.
Franck Nassah voit trois grandes étapes à la transformation numérique : celle de l'interface client, qui passe notamment par le multi-canal. Au stade suivant viennent les organisations numériques intégrées, avec l'alignement de l'interface client avec les processus, l'analyse inter-fonctionnelle et la culture de l'innovation au sein de l'organisation. L'étape ultime, ce sont les écosystèmes numériques, dans lesquels l'expérience client est constante à travers tout l'écosystème et l'accès à la donnée partagé.
Les différents écosystèmes sont horizontaux et vont des véhicules connectés à la domotique et à la distribution en passant par la finance ou les smart cities. Ils mettent à profit le numérique, l'intelligence artificielle, le machine learning, l'analyse prédictive, le Big Data, l'IoT (Internet des objets) pour repenser les processus et proposer de nouveaux services : les clients deviennent des acteurs à part entière des processus et les collaborateurs ont un rôle central dans l'écosystème.
La présentation de PAC a été émaillée de nombreux exemples d'entreprises ayant effectué cette transformation à des degrés divers et dans des domaines variés. On peut citer Michelin, une entreprise historiquement centrée sur le service, ou le groupe Accor, qui a élaboré un plan sur cinq ans pour contrer ses nouveaux concurrents que sont les Airbnb et consorts d'un côté, les booking.com et Tripadvisor de l'autre. Ambitieux, ce plan comporte huit points : mobilité d'abord, démarche centrée sur le client, des séjours sans accroc, BtoB, satisfaction des collaborateurs, prise en compte des propriétaires et franchisés, transformation de l'infrastructure, BI et analytique. Il a abouti à une nouvelle vision du parcours client.
On peut encore citer Darty, qui a inventé un contrat de maintenance des appareils blancs et/ou bruns pour quelques euros mensuels, y compris des appareils ne provenant pas de chez eux, et a ainsi contré la concurrence des mainteneurs indépendants. Mais peu ou prou toutes les grandes entreprises ont démarré ce type de démarche, de la SNCF à la RATP, des banques aux assurances.
Le projet ne relève pas que de la DSI mais est un projet d'entreprise, qui nécessite un support au plus haut niveau, celui de la DG", insiste Franck Nassah. Il fait intervenir trois acteurs principaux : la DSI, les métiers et le "digital" dans la plupart des phases du projet. Cette dernière fonction est récente : "le plus souvent, il s'agit d'un CDO (Chief Digital Officer), mais elle peut aussi être prise en charge par le marketing ou la communication", explique l'analyste de PAC. Un CDO maîtrise les infrastructures informatiques, conduit le changement et la transformation numérique et renforce la relation client. Du point de vue de la DSI, cette nouvelle manière d'aborder les projets est disruptive. Une DSI qui se doit d'être présente dans la plupart des phases du projet, ce qui transforme en profondeur son rôle : de plus en plus, les DSI vont devenir des directeurs de l'innovation.
Benoît Herr