L'éditeur de logiciels à destination du secteur public renoue avec sa tradition et son histoire plusieurs fois centenaire en lançant cette nouvelle revue, dans laquelle la transformation numérique occupe une part importante. "La conviction que le modèle de gestion publique que nous avons reçu en héritage doit et va, pour correspondre aux évolutions de la société, connaître une transformation profonde est à l'origine de notre démarche. L'action publique doit désormais se conjuguer au temps des mutations, en premier lieu numériques", commente Pierre-Marie Lehucher, président du groupe Berger-Levrault et actuel président de Tech'In France.
Pierre-Marie Lehucher, président du groupe Berger-Levrault
Horizons Publics porte l'ambition d'être une revue de référence pour accompagner les décideurs publics dans leur entreprise de transformation de l'action publique. Le titre traduit la volonté d'explorer de nouveaux horizons pour l'action publique, d'entrer dans les coulisses de l'innovation publique, de décrypter la fabrique des politiques publiques, de débusquer les initiatives originales en France et à l'étranger, afin d'inspirer les décideurs d'aujourd'hui et de demain. La revue prend délibérément le parti de l'ouverture, pour ouvrir de nouvelles perspectives et susciter les débats. Elle est bimestrielle, soit 6 numéros par an, auxquels il faut ajouter quatre hors série annuels.
Le numérique en bonne place
Comme l'a souligné Pierre-Marie Lehucher, également directeur de la publication, le numérique et la transformation numérique occupent une place de choix dans la publication. Ainsi, dès le premier numéro, paru en janvier 2018, on trouve un entretien avec Marc Goodman, ancien enquêteur de la police de Los Angeles, aujourd'hui consultant international sur le cybercrime.
Celui-ci souligne que l'État a une responsabilité très forte dans la défense des citoyens. "Il faut que les gouvernements investissent les nouveaux terrains de la criminalité, inventent de nouvelles politiques publiques pour protéger les citoyens et imaginent de nouvelles lois pour défendre la vie numérique de leurs ressortissants", conseille-t-il. Il cite également des exemples, en tête desquels la bien connue Estonie, l'un des États européens les plus avancés en matière de défense numérique et conseille aux collectivités locales sans grands moyens d'avoir recours au "crowdsourcing" et à la "production participative".
Le hors série de l'été fait lui aussi une place de choix au numérique avec un article intitulé "gouverner les données pour gouverner la ville numérique", que l'on doit à Antoine Courmont, chercheur post-doctorant au centre d'études européennes de politique comparée de Science Po, responsable scientifique de la chaire Villes et numérique de l'École urbaine de Science Po. Il s'agit de la synthèse d'une thèse réalisée sur la base de travaux de trois années, pendant lesquelles l'auteur a suivi quotidiennement la mise en œuvre de la politique d'open data du Grand Lyon. La thèse suit la chaîne des données au travers de cinq étapes : produire, mettre en circulation, ouvrir, réutiliser et gouverner.
Citons encore "Smart cities sans frontières", un reportage sur la mise en œuvre de l'open data à Dignes-les-Bains ou un autre sur le Lab RH. Jacques Toubon, le défenseur des droits, signe dans le numéro de juillet/août un article des plus intéressants : "la fracture numérique, une réalité inquiétante". Il s'y appuie sur une enquête intitulée "Accès aux droits", dont l'objectif est de mieux connaître des situations de discriminations, de violation des droits de l'enfant, de déontologie des forces de sécurité et de soucis relationnels entre services publics et usagers. Il apparaît que la dématérialisation des services publics fragilise les publics déjà vulnérables : un cinquième de la population rencontre des difficultés pour accomplir ses démarches administratives courantes. Ce sont les agriculteurs (42 %), les jeunes de 18 à 24 ans (37 %), les inactifs (35 %), les 25-34 ans (29 %) et les ouvriers (27 %). La fracture numérique accentue aussi le non recours aux droits des usagers. Parmi les personnes ayant abandonné leurs démarches à la suite de difficultés pour résoudre un problème avec un service public ou une administration dans les cinq dernières années, plus de la moitié (51 %) l'ont fait parce qu'elles estiment que cela ne sert à rien. Mais 45 % l'ont fait parce qu'elles trouvaient les démarches trop compliquées et 18 % par ignorance des recours (plusieurs réponses à la question étaient possibles). En conclusion, il est fondamental que les services publics conservent un accueil multicanal, dont le téléphone et la présence physique.
La structure
Si la revue possède bien une rédaction, elle est pilotée par un comité d'orientation et fait appel à de nombreux contributeurs, à l'instar de Jacques Toubon. Autour de Pierre-Marie Lehucher et de Julien Nessi, rédacteur en chef, gravitent toute une série de contributeurs prestigieux et un comité d'orientation qui ne l'est pas moins.
Le lancement officiel de la revue s'est fait il y a quelques jours autour d'un débat sur le thème "les collectivités sont-elles en mesure de développer leur propre modèle d'innovation ?", auquel a participé l'un des membres du comité d'orientation, Stéphane Vincent, délégué général de la 27ème Région, un laboratoire conduisant des programmes de "recherche-action" dans le but de tester de nouvelles méthodes d'innovation avec les acteurs publics. Autour de lui, Thomas Cazenave, délégué interministériel à la transformation publique, Mehdi Medjaoui, entrepreneur et organisateur de conférences sur la transformation numérique de la société et Patrice Vergriete, maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque. Pour Thomas Cazenave, "l'obsession de l'usager est l'un des piliers de l'innovation publique".
De G. à D : Patrice Vergriete, maire de Dunkerque, Stéphane Vincent, délégué général de la 27ème Région, Mehdi Medjaoui, entrepreneur et organisateur de conférences, Thomas Cazenave, délégué interministériel à la transformation publique, et Julien Nessi, rédacteur en chef de Horizons Publics
Pour Mehdi Medjaoui, multiple entrepreneur et organisateur de conférences sur la transformation numérique de la société, dont les API Days, qu'il a co-fondés, il faut "Libérer l'innovation dans l'État et par l'État. Il a notamment rédigé une tribune en réponse au discours du Président Macron lors du salon Vivatech, le 15 juin 2017, dans lequel il affirmait vouloir faire de la France une "start-up nation". "Non, la France ne doit pas devenir une start-up". Tel est le titre de cette tribune, dans laquelle il explique que la France ne doit pas penser comme une start-up mais mettre l'innovation au service du progrès. "Il faut penser le progrès au-delà de l'innovation, c'est-à-dire se demander quelles innovations sont intéressantes et lesquelles ne le sont pas. Et qui mieux qu'un état peut penser le long terme ?". Pour Mehdi Medjaoui, " Il faut penser les structures publiques comme des infrastructures et non comme des plate-formes. Les start-up sont des entités en recherche permanente de modèles. Un état ne doit pas devenir comme ça".
Le débat a aussi fait ressortir un certain nombre de problématiques : Stéphane Vincent estime par exemple que "nous avons un grand problème de coopération entre les diverses entités publiques (chercheurs, agences, praticiens en interne etc.). Il faut penser les labos de demain comme un vaste collectif". Mais c'est Patrice Vergriete, le maire de Dunkerque, capitale européenne des transports publics gratuits, qui a insisté sur l'importance de la résistance au changement. "Les citoyens veulent-ils le changement ?", interroge-t-il. Et de répondre lui-même : "oui et non. D'un côté il y a une grande résistance au changement, mais de l'autre il y a aussi une volonté de changement. C'est notre rationalité ; nous sommes ainsi faits. Le problème se règle par le sens : si par exemple je change votre salle de bains et que ça fait sens pour vous, vous allez l'accepter".
Benoît Herr