Aujourd'hui les éditeurs et notamment les plus importants affichent une même ambition : convaincre leurs utilisateurs de basculer dans le cloud. Pour inciter les entreprises à migrer leurs ERP, certains, dont Oracle et SAP, annoncent même l'arrêt du support des outils on-premise à l'horizon 2025. Pour cette raison, les entreprises doivent faire face à des échéances courtes, auxquelles vient s'ajouter une crise potentielle liée au non-remplacement des experts.
"Les compétences qui étaient pertinentes il y a quelques mois seulement le sont déjà un peu moins aujourd'hui. Et il y a un certain nombre de compétences qui sont importantes et prédominantes, pas uniquement aujourd'hui, mais pour l'avenir. Il nous importe donc d'être particulièrement vigilants pour identifier les opportunités", explique John Brown, SVP et DRH de Blue Cross Blue Shield Louisiane. Il est vrai que les déploiements ERP ne se limitent pas à de simples considérations technologiques et prennent en compte de nombreux points métiers. Qu'il s'agisse de SAP S/4 HANA, d'Oracle ERP Cloud ou de la CloudSuite d'Infor, leurs mise en œuvre, administration et support exigent de solides compétences. À l'instar de ce responsable RH, ils sont nombreux à avoir identifié des lacunes en termes de compétences. Selon Gartner, 64 % des managers ne pensent pas que leurs collaborateurs soient en mesure de rester à niveau par rapport aux besoins à venir. Plus grave : 70 % des employés déclarent ne pas même maîtriser les compétences qui leur sont nécessaires à l'accomplissement de leur mission actuelle. Gartner suggère de passer par l'apprentissage connecté pour rester à niveau dans ce monde où les besoins en compétences évoluent quotidiennement. L'apprentissage connecté associe intérêt personnel, relations interpersonnelles et opportunités. C'est un mode d'apprentissage adapté au foisonnement d'information et de connexions sociales qui convient aux backgrounds et intérêts divers de la jeune génération. Pour cela, les organisations doivent faire évoluer leur approche du développement personnel dans divers domaines, comme l'identification des compétences, la motivation et les solutions d'apprentissage. Toujours selon Gartner, les résultats sont fulgurants, avec une courbe d'apprentissage plus rapide de 25 %, un taux de rétention dans l'entreprise multiplié par 4 et un engagement augmenté des deux tiers.
Dans le cas particulier de l'ERP, une autre étude de Gartner, parue en juillet 2018 ("Retirements and Digitalization Are Creating an ERP Skills Gap — Are You Prepared to Fill It? - Paul Schenck et Duy Nguyen) explique qu'on "ne remplace pas des spécialistes en ERP aussi simplement qu'il y a 10 ans. Les candidats extérieurs possédant les compétences nécessaires se font de plus en plus rares. La demande croissante en employés capables de gérer des projets numériques et les besoins en talents numériques des business units, ne fait qu'aggraver le manque de compétences en créant une nouvelle forme de concurrence dont profitent les ressources IT les plus performantes".
Eric Robinson, vice-président mondial et directeur général des services SAP chez Rimini Street, un prestataire de services de support tiers pour des logiciels comme Oracle et SAP, justement, estime qu'être expert en ERP est un atout de plus en plus rare. "Les acteurs du passage à l'an 2000 sont aujourd'hui des experts qui connaissent parfaitement les progiciels de gestion intégrés, mais envisagent aussi désormais de prendre leur retraite", constate-t-il. "Les éditeurs d'ERP ont beau affirmer que la prochaine vague d'innovation numérique évoluera autour de leurs plateformes, les jeunes talents boudent le monde des progiciels de gestion intégré. Difficile, en effet, de lutter contre le développement d'applications mobiles, cloud, ou de créer des modèles métier qui ignorent les limitations caractéristiques des ERP".
Et d'insister sur la pression exercée par les éditeurs sur les entreprises pour qu'elles adoptent de nouvelles plateformes telles que S/4 HANA ou Oracle ERP Cloud, qui selon lui accentue encore la pénurie d'experts en ERP. "Cette situation coïncide en effet avec un intérêt croissant pour le cloud, l'intelligence artificielle et les stratégies de transformation numérique ; autant de technologies qui exigent le recrutement de spécialistes".
La migration vers le SaaS est-elle une bonne idée ?
Eric Robinson s'interroge aussi sur le bien fondé du passage au SaaS, car "certaines entreprises cherchent à contourner les obstacles en validant cette possibilité, aux termes de laquelle la responsabilité technique est en partie assumée par le fournisseur de cloud". Mais, migrer vers le SaaS, c'est aussi se résoudre à utiliser un noyau ERP simplifié et une personnalisation réduite. "Les éditeurs ont en effet tendance à inciter les utilisateurs à certaines 'bonnes pratiques' qui ne sont bonnes que pour les entreprises auxquelles elles apportent de réelles améliorations. Cette option est en revanche moins acceptable pour certains secteurs industriels spécialisés, pour lesquels les éditeurs n'ont pas encore pris la peine de répliquer certaines fonctions spécifiques à leur activité sur la plateforme SaaS".
Si le fait d'adopter la déclinaison cloud d'un ERP supprime certains obstacles techniques, d'autres vont apparaître. "Pour mener cette stratégie à bien, les entreprises devront développer l'expertise informatique hybride nécessaire au partage des données et processus entre les systèmes locaux et le cloud. Or, de telles compétences restent difficiles à trouver. Même en engageant une armée de consultants pour accompagner la mise en œuvre d'un ERP, une entreprise aura toujours besoin d'experts pour continuer à s'en occuper après leur départ. Ces différentes pressions concernent a fortiori les plateformes dont l'éditeur a fixé la date à laquelle les anciennes versions cesseront de bénéficier d'une maintenance générale, en 2025 pour SAP ECC, par exemple".
À chacun son rythme
Eric Robinson prêche évidemment pour sa paroisse, qui est celle de la poursuite du support des installations on-premise au-delà de la date fatidique fixée par les éditeurs. Ainsi, il explique que "les entreprises ne sont pas obligées d'opérer seules cette transition, ni de se laisser imposer un calendrier. Une industrie du support 'tierce partie' se développe actuellement, dont la mission est de répondre aux attentes d'entreprises qui ont compris qu'elles n'avaient pas forcément intérêt à payer des services d'assistance dans le cadre d'un contrat de maintenance signé avec l'éditeur de leur ERP. Si une entreprise estime qu'il lui est en effet nécessaire d'adopter la dernière plateforme de son éditeur, le recours à un service d'assistance extérieur peut l'aider à diminuer le coût du support pendant la phase de transition. En revanche, si l'entreprise ne voit aucune raison d'abandonner l'implémentation actuelle, un service d'assistance tierce partie lui permettra de l'utiliser au-delà de sa date annoncée d'obsolescence".
Ainsi, les entreprises ont toujours le choix : soit moderniser leur ERP en utilisant d'autres méthodes, et en profitant éventuellement de l'économie d'échelle qu'apporte la migration vers le cloud, soit prolonger leurs capacités à l'aide de logiciels et services cloud supplémentaires. L'important est de faire le choix le plus adapté à chaque cas particulier.
Benoît Herr