C'est à l'occasion d'un événement organisé à la mi-décembre dans les locaux de la société de conseil en investissement Ardian que l'association Tech In France a présenté, devant un parterre d'entrepreneurs, de capital risqueurs et de business angels, ses propositions pour renforcer l'écosystème du numérique en France. Tech In France a entre autres pour objectif de stimuler l'écosystème du numérique et souhaite que les pouvoirs publics s'emparent du sujet du financement afin que la France soit en mesure de créer des champions du numérique.
Les propositions formulées ont été conçues pour aider la France à rattraper son retard dans la création de ces champions et à rivaliser avec les "licornes"1 comme Uber aux États-Unis ou Blablacar en France, qui tirent la croissance mondiale. Ces entreprises identifiées comme étant des "licornes" sont au nombre de 19 en Europe. Aux États-Unis, une licorne est valorisée en moyenne 46 fois son chiffre d'affaires, soit trois fois plus qu'en Europe (18 fois le chiffre d'affaires). Il est donc fort probable que les fonds américains soient de plus en plus nombreux à investir dans les licornes européennes. Quoi qu'il en soit, les États-Unis et la Chine restent bien en avance sur l'Europe pour créer des licornes, un état de fait qu'il va falloir inverser.
Encore trop d'obstacles
"Le fait d'aller habiter à San Francisco en 2016 a libéré mes ambitions", déclare Jérôme Lecat, CEO de Scality, juste avant d'annoncer "Ca va bien ! La situation en France s'est améliorée depuis 20 ans et il y a suffisamment d'argent disponible. Mais on ne finance pas encore suffisamment les entreprises. Et quand on est sous-financé, on va plus lentement, notamment que les américains".
Ces assertions résument à elles-seules la position générale de l'ensemble des intervenants aux différents tables rondes de cet événement ainsi que toute l'ambiguïté de la situation qui : "s'est améliorée et les progrès réalisés sont significatifs, mais il reste encore beaucoup à faire". En particulier, trop d'obstacles se dressent encore sur la route des nombreuses start-up françaises qui souhaitent passer à l'échelle et le principal point faible de l'écosystème français reste le financement. Le développement d'une start-up technologique et ambitieuse au niveau mondial requiert des appels de fonds réguliers et importants. Or, l'environnement français n'est pas encore adapté à ce mode de fonctionnement à cause d'une fiscalité complexe et peu incitative au risque.
Pour Bertrand Diard, président de l'association, "2017 doit être l'occasion de changer la donne en matière d'investissement dans les entreprises de la Tech !". Bertrand Diard est par ailleurs actuellement président d'Influans, mais surtout connu pour être le co-fondateur de Talend, l'une des deux entreprises françaises ayant réussi à se coter au NASDAQ (avec Criteo).
Bertrand Diard, président de Tech In France
Il constate qu'en vue des échéances électorales de 2017, toutes les propositions des candidats reposent sur des hypothèses de croissance ! Or, la croissance en France repose aujourd'hui sur le numérique et : "pour entraîner l'économie avec elle, la Tech a besoin d'être massivement financée. Il n'est pas acceptable que, dans un pays où l'épargne est abondante et où l'écosystème des investisseurs publics et privés est aussi dynamique, les entreprises les plus créatives ne parviennent pas à se financer à la hauteur de leurs ambitions". Tech In France souligne que la moitié des licornes apparues en Europe en 2015 vient du secteur logiciel (cf. "European Unicorns 2016, Survival of the Fittest", GP Bullhound, 2016) et que la tech représente 5,5 % du PIB pour 25 % de la croissance française et 700 000 créations d'emplois depuis 2000... En outre, aux États-Unis ce sont 0,3 % du PIB qui sont investis en capital risque, en France 0,03 %. " Il y a donc un potentiel énorme", note Bertrand Diard.
Pour lui, il est indispensable de disposer d'une chaîne du financement des entreprises innovantes sans maillon faible. C'est la condition sine qua non si l'on a pour objectif de créer un nombre important de start-up, PME, ETI et grandes entreprises du numérique. Sans cette chaîne aboutie, les emplois ne pourront se pérenniser et les entrepreneurs français continueront de migrer avec leurs projets dans des pays plus propices à accompagner leur développement une fois la marche du succès franchie.
Le financement de la phase d'amorçage a accompli de nombreux progrès, notamment grâce à Bpifrance, et la France s'appuie à présent sur des dispositifs enviés. Mais les business angels restent encore trop peu nombreux. Les défaillances de la chaîne se trouvent notamment au niveau du capital-investissement et de la porte de sortie des liquidités : Tech In France déplore l'absence d'une place de marché européenne de type "NASDAQ européen" et le peu de consolidateurs industriels.
Les propositions
Elles s'articulent autour de trois axes : incitation des particuliers à investir dans les entreprises innovantes, orientation de l'assurance-vie vers l'économie réelle et développement du "corporate venture".
Pour l'association, il faut revoir de fond en comble la façon dont nous mobilisons l'épargne des Français au profit du financement des entreprises les plus innovantes et les plus dynamiques de ce pays. Si le financement des entreprises comporte un risque, ce risque doit donc être incité et véritablement récompensé, c'est-à-dire rémunéré et fiscalement encouragé. À ce jour, la fiscalité française ne le permet pas. Celle-ci préfère favoriser les bas de laine au détriment des entreprises qui créent des emplois et de la richesse : l'argent des Français doit servir l'économie de demain.
Et de proposer de redonner de l'attractivité à l'investissement dans l'innovation pour les particuliers via des réductions d'impôt sur le revenu, l'application d'un prélèvement forfaitaire libératoire sur les distributions des FCPI (intérêts, dividendes et plus-values) et des entreprises innovantes ou encore des règles spécifiques applicables en matière de droits de mutation à titre gratuit.
La deuxième proposition vise à favoriser l'orientation de l'épargne existante vers les PME innovantes plutôt que vers l'assurance-vie en rendant plus robustes les textes existants pour ce qui est de la remise en titres au souscripteur ou ses ayants-droit, en ouvrant l'accès aux fonds professionnels de capital-investissement à tous les souscripteurs de contrats en unités de compte ou encore en créant un compartiment en unités de compte dédié aux actions de PME/ETI innovantes et aux parts de FCPI et en mettant en place un régime fiscal de faveur dit "renforcé" en cas de rachat partiel ou total effectué sur les supports contenus dans ce compartiment, mais aussi en matière de droits de succession.
La troisième proposition concerne les entreprises et vise à favoriser leur investissement dans les PME innovantes en allant plus loin dans le dispositif de "corporate venture" initié en 2013, afin de donner un véritable élan à ce mode de financement.
Tous les constats et propositions ci-dessus sont détaillés dans un document intitulé "Disrupt 2017 – Financer la Tech, financer la croissance en France – nos propositions pour 2017", disponible sur le site de l'association et qui a déjà été remis à certains des candidats déclarés à la présidentielle. "Nous avons aussi rencontré un certain nombre de candidats à la primaire de la droite et du centre au moment de cette élection", précise Bertrand Diard. "La première chose à faire est de les sensibiliser. Il faut leur apporter une perspective sur le fonctionnement de notre écosystème". Tech in France annonce qu'elle sera particulièrement attentive aux programmes des candidats à cette élection afin qu'ils n'oublient pas de placer l'innovation et le numérique au cœur de leurs propositions.
Benoît Herr
1 : CB Insights définit une "licorne" comme une entreprise de moins de 10 ans, non cotée et valorisée à plus d'un milliard de dollars.