Pour Samantha Merlivat, analyste chez Forrester, spécialisée dans le marketing BtoC, "la fidélisation devient de plus en plus critique". Ces programmes, nés dans les années 1980, chez American Airlines notamment, se sont largement répandus. "68 % des adultes français font aujourd'hui partie d'au moins un programme de fidélisation, la moyenne s'établissant à six programmes par personne", poursuit l'analyste, qui précise qu'aujourd'hui les clients recherchent des bénéfices à court terme dans ces programmes. Alors, comment leur donner satisfaction ?
Samantha Merlivat, analyste chez Forrester
Pour elle, c'est le côté émotionnel qui fait la différence : "la capacité de la marque à générer des émotions va dans un sens positif par rapport aux ventes". Si la fidélité est dérivée du profil, il existe de nombreux profils clients différents. "Retracer le parcours du client devient de plus en plus difficile, techniquement mais aussi du point de vue légal", estime Samantha Merlivat. Il est donc nécessaire d'obtenir des "insights" de ces profils, en s'appuyant notamment sur certains clients volontaires pour participer à l'analyse par la marque des comportements clients. Une fois ces données collectées, leur analyse permettra de travailler à plusieurs niveaux et d'agir sur la performance en améliorant la structuration des promotions et des messages, par exemple, mais aussi les fonctionnalités des programmes et des expériences, et la conception de récompenses en elles-mêmes.
Peut mieux faire
Seuls 28 % des clients indiquent qu'ils sont fidèles à une marque, soit un peu plus d'un quart. "Pourquoi seulement 28 % alors qu'il est plus facile et moins cher de conserver un client que d'en conquérir un nouveau ?", s'interroge Sarah Colichet, consultante en solutions de fidélisation chez Comarch France. Ce chiffre paraît en effet bien faible et il devrait être possible de l'augmenter de façon significative en envisageant la fidélisation différemment. Ajoutons que 80 % des revenus proviennent de clients existants. Si on les néglige, on risque de les perdre. Alors, quels sont les facteurs clés de succès pour construire une "fidélisation 3.0" ?
Pour la consultante, les données sur le client (habitudes, besoins, historique d'achats) sont essentielles et permettent de lui faire des offres personnalisées pertinentes. Avec l'avènement des réseaux sociaux, on peut se demander si un client n'est pas un peu plus qu'un client et peut devenir un ami ou s'en approcher. "La confiance se gagne", lance Sarah Colichet. "Et les éléments de connaissance du client sont plus facile à collecter une fois que cette confiance est gagnée. Au bout d'un moment, lorsqu'il se sentira en confiance et protégé, il vous fera même des confidences".
Elle confirme par ailleurs l'importance des émotions et l'intérêt de jouer sur celles-ci. Un point essentiel est l'écoute du client, au travers d'outils simples, comme une boite à idées, des questionnaires, des avis ou des notations. Plus le client fera l'objet d'attentions, plus la relation sera personnalisée, donc unique.
La consultante insiste également sur les aspects ludiques de la relation client et sur la notion de gamification. "Il faut associer la fidélisation au jeu et au fun", estime-t-elle. "Il n'y a pas de mauvaise occasion pour offrir quelque chose à un client : les petites attentions sont très importantes".
Le cas Natura Brasil
Avec 7 000 collaborateurs en interne, Natura Brasil est l'un des leaders de l'industrie cosmétique en Amérique Latine et la 4ème entreprise mondiale en termes de ventes directes. L'entreprise, basée à Sao Paulo, distribue ses produits essentiellement par l'intermédiaire de son réseau de conseillères en face-à-face. Actuellement, ce réseau compte plus de 1 420 000 conseillères dont environ 1 200 000 au Brésil. La filiale française, qui existe depuis une dizaine d'années, en compte de l'ordre de 1 000.
En 2013, il existait trois canaux de vente indépendants : essentiellement les conseillères, générant plus de 80 % du chiffre d'affaires, mais aussi un site Internet de e-commerce assez rudimentaire et une boutique. "Nous n'avions alors aucune visibilité sur le client final et donc aucune connaissance du client et en conséquence aucune stratégie commune", se souvient Laurent Lepiez, responsable informatique de Natura Brasil. C'est alors que l'entreprise a initié un projet pour rassembler collaborateurs et conseillères autour des valeurs fortes de Natura que sont le développement durable, le social et le "bien-être".
Le challenge consistait à connecter les trois canaux de vente tout en conservant la vente directe au cœur de la stratégie et en donnant plus de possibilités d'interagir avec l'entreprise aux clients finaux. Un objectif secondaire était de développer les ventes en ligne. Autres objectifs : constituer une base de données client détaillée, qui n'existait pas, à l'usage et de l'entreprise et des conseillères, augmenter la productivité de ces dernières (55 % des conseillères généraient 80 % du chiffre d'affaires) en leur offrant un outil de support des ventes et un programme d'incentives. Enfin, en créant un programme de fidélisation pour les clients finaux, Natura faisait connaître la marque et améliorait sa
visibilité.
C'est ainsi qu'est né le programme de fidélisation "mynatura". Il s'appuie sur le système "Comarch Loyalty Management" et sur un nouveau site Web, plus facile à utiliser, plus moderne et connecté au programme de fidélité, doublé d'une application mobile. "Pour concevoir la solution, nous sommes partis du client, ce qui est l'élément le plus important", explique Laurent Lepiez. Aujourd'hui, les clients collectent des points de fidélité sur tous les canaux de ventes (e-commerce, vente directe et boutique). Le programme s'adresse aussi aux clients directs, assurant ainsi à Natura une audience plus large en Europe. Il a permis de segmenter les clients et donc d'en avoir une meilleure compréhension et un meilleur suivi.
Mais il fallait ne pas démotiver les conseillères : disposant, grâce à l'outil de CRM mis en place, d'une meilleure connaissance des comportements d'achat de leurs clients, elles peuvent désormais proposer une offre plus adaptée à leurs besoins. Le suivi des ventes est assuré au travers d'un programme appelé "perles", qui permet un certain degré d'émulation entre les conseillères. De fait, il ne fallait plus que 40 % des conseillères pour générer 80 % du chiffre d'affaires dès 2014. Parallèlement, les ventes via Internet ont crû de 79 % dès 2014, et le nombre des clients e-commerce de 123 %.
Quelques tendances
Pour conclure la matinée, Lukasz Sloniewski, directeur du consulting de Comarch France, a évoqué quelques tendances issues non pas d'études et d'analyses, mais de son expérience du terrain et de récentes réalisations de projets. Il estime que le déclencheur de cette fidélisation 3.0 est l'existence des smartphones et des applications ludiques. "Les gens aiment collectionner des choses", constate-t-il. "Les goodies comme des badges, par exemple, sont vécus comme des trophées. La notion de voyage et de quête d'un objet est importante aussi et peut être mise à profit".
Techniquement, il cite les services géolocalisés, les paiements mobiles, les services digitaux ou encore la gamification comme étant des tendances majeures du moment. Et il faut aussi se préparer à exploiter les 25 milliards d'objets connectés prévus à l'horizon 2020.
Benoît Herr