Avec ce livre noir et blanc (disponible dans son intégralité ici : Syntec Numérique publie le "Livre Noir et Blanc du Logiciel"), Bruno Vanryb, patron d'Avanquest, membre du conseil national du numérique et président du collège éditeurs de Syntec Numérique, demeure fidèle à ses convictions et en phase avec les constats qu'il dresse et les positions qu'il défend depuis déjà longtemps à propos de l'industrie du logiciel en France (cf. Le logiciel français au top).
"Le livre noir et blanc du logiciel" présente les principaux freins dont souffre l'industrie du numérique et met en face de chacun de ces freins une proposition innovante pour faire gagner l'industrie française du logiciel. Il fait suite aux 10 propositions de Syntec Numérique parues en janvier, qui restaient générales et concernaient des thématiques comme la croissance économique de la France, l'emploi ou encore l'efficacité de la dépense publique. "Celles du collège éditeurs, qui représente quelque 550 membres de Syntec Numérique sur 1 100 en tout, sont spécifiques du logiciel", précise Bruno Vanryb. Et de mentionner le titre d'un récent article du Wall Street Journal : "Why Software is eating the World". Le logiciel est en effet omniprésent dans notre société moderne : il est enfoui dans la plupart des produits que nous utilisons quotidiennement, parfois sans même que nous en ayons conscience. Trafic aérien, réseaux électriques, circulation, transports en commun, téléphones, finance, et tout l'Internet bien sûr, s'appuient sur des logiciels. "Aujourd'hui, un quart de la R&D du développement d'une voiture concerne le logiciel", précise Bruno Vanryb. De plus, le secteur du logiciel est innovant, créatif et stimule les nouveaux usages. Il est en croissance et les 300 premiers acteurs français du secteur ont réalisé un chiffre d'affaires de 7,7 milliards d'euros en 2010. "Soutenir les éditeurs de logiciels, c'est garantir le développement de notre économie et créer les emplois de demain", ajoute Bruno Vanryb.
Côté noir
Le secteur se caractérise notamment par des besoins en financement importants du fait de la "révolution permanente" qu'il connaît. Les technologies et les usages évoluent en effet très vite, ce qui se traduit pour les éditeurs par des remises en cause perpétuelles de leurs savoir-faire, par des besoins continuels en formation de leurs équipes et par le recours permanent à des compétences nouvelles. "Un logiciel qui se vend aujourd'hui un euro sur iPhone se vendait il y a trois ans encore 40 euros", constate Bruno Vanryb. "Dans ces conditions, la rentabilisation des investissements en R&D devient problématique".
Les acteurs du secteur du logiciel en France (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Le collège éditeur de Syntec Numérique note une atomisation trop importante de ce secteur, qui compte plus de 3 200 entreprises en France, une apparente bonne santé qui masque un nombre trop important de petites structures et un déficit d'entreprises de taille moyenne, capables d'accéder au marché international. "Il y a un décalage entre les talents des éditeurs français et leur poids économique dans le monde", constate Bruno Vanryb. "Les entreprises ne passent pas le cap des 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et se font racheter avant même d'avoir pu se développer suffisamment pour se lancer elles-mêmes dans le processus ; cela pèse aussi sur la balance du commerce extérieur de la France".
Le côté noir du "livre noir et blanc" pointe également le piratage de logiciels, dont la France serait l'un des leaders mondiaux, ainsi que l'existence d'une majorité d'entrepreneurs français peu marketeurs. Les créateurs de logiciels sont en effet souvent centrés sur le développement technologique de leurs produits et négligent le marketing, ce qui entrave leur croissance et la recherche d'investisseurs.
L'opuscule dénonce le maquis des dispositifs d'aide à la création ou au développement à l'international, jugés certes nombreux et efficaces, mais d'un accès difficile. Les éditeurs sont également confrontés à un déficit endémique de compétences en matière de recrutement, notamment du fait de l'émergence de besoins en nouvelles compétences, en face desquelles on ne trouve que peu ou pas de formations.
Côté blanc
Chacun des points noirs évoqués ci-dessus fait l'objet d'une proposition de la part de Syntec Numérique. Celles-ci s'adressent en particulier aux politiques, en cette période d'élections, dans l'espoir de voir les lignes bouger à l'avenir.
1. Pour résoudre les problèmes de financement, Syntec Numérique propose la mise en place d'un statut de société créatrice de logiciels, prenant en compte tous les aspects de la création d'un logiciel et pas uniquement les aspects R&D. Le dispositif d'exonération des charges sociales s'appliquant au statut de JEI (Jeune Entreprise Innovante) serait étendu à tout le personnel engagé dans le processus de création. Le syndicat propose également la prise en charge de la moitié des frais d'accès à des formations de management et de développement à l'international et une aide supplémentaire pour la formation des équipes.
2. Une formation "entreprendre dans le logiciel" permettrait de mieux former les éditeurs au management d'entreprise et aux techniques de marketing en leur apportant la vision concrète de dirigeants ou de managers d'autres sociétés du secteur.
3. Un "guichet unique", animé par une équipe formée et compétente, faciliterait et accélérerait les démarches d'obtention d'aides et d'accompagnement grâce à une orientation efficace des entrepreneurs. Ce guichet pourrait couvrir leurs grandes préoccupations, comme le financement, l'internationalisation, la fiscalité, la formation, le juridique ou le recrutement.
4. Pour répondre aux besoins de compétences, Syntec Numérique propose la création d'une filière de formation aux métiers du logiciel, avec des cursus ciblés et une gouvernance partagée avec l'éducation nationale par les professionnels du secteur.
5. Enfin, pour résoudre les problèmes de fragmentation du secteur, Syntec Numérique propose de créer des écosystèmes du logiciel, regroupant sur un même site toutes les forces concourant à la création d'une dynamique de croissance de l'industrie du logiciel. "C'est en mettant les gens ensemble, à l'instar de la 'soupe originelle' qui a donné naissance à la vie sur terre, que l'on fertilisera et dynamisera l'activité humaine. C'est une notion fondamentale", commente Bruno Vanryb. Des exemples d'écosystèmes de ce type existent déjà en Europe, notamment l'Entrepreneurship Center, incubateur de start-up adossé à l'université LMU de Munich.
Le débat
La présentation du "livre noir et blanc" à la presse a été suivie d'un débat réunissant, autour de Bruno Vanryb, Fleur Pellerin, en charge de l'économie numérique au sein de l'équipe de François Hollande, Laure de la Raudière, députée UMP d'Eure-et-Loir, spécialiste du numérique, Gilles Babinet, président du conseil national du numérique, Emmanuel Le Chypre, économiste et directeur du centre de prévision de l'Expansion et Mathieu Llorens, président d'AT Internet.
Ce dernier, patron de l'un des leaders mondiaux du Web Analytics, a voulu incarner le contre-exemple au rachat systématique des éditeurs français et a déclaré : "comme si un rachat était une fatalité, personne n'imagine, lorsque quelqu'un crée une entreprise dans le logiciel, qu'il puisse en vivre sur le long terme ! Mais on n'est pas obligé de revendre son entreprise à un éditeur américain. Nous sommes souvent bien meilleurs que les Américains dans le domaine du logiciel, même si nous n'avons pas toujours le même niveau de réussite".
Si les politiques sont restés dans leur rôle et ont chacun, qui défendu le bilan des dernières années, qui vanté les mesures contenues dans le programme de son candidat, Emmanuel Le Chypre a estimé que "les propositions de Bruno Vanryb ne sont pas importantes, elles sont vitales !" Et Bruno Vanryb de conclure en remarquant que "Bill Gates a créé son entreprise avec dans l'idée de changer le monde. C'est ça le véritable esprit d'entrepreneur".
À noter, en marge de ces propositions, que François Bayrou, qui n'était pas représenté lors de cette présentation, avait organisé la veille au soir une table-ronde publique, retransmise en direct sur DailyMotion, au cours de laquelle il a confronté ses orientations sur le numérique à quatre acteurs du secteur, dont Gilles Babinet. Le numérique est donc identifié et bien pris en compte dans la campagne. Affaire à suivre.
Benoît Herr