Nous vous en parlions récemment (cf. Projet Chorus : la suite), le projet d'informatique financière de l'état, piloté par l'AIFE, se prolonge aujourd'hui avec Chorus Factures, un système de traitement des factures fournisseurs dématérialisées. Lorsque nous l'avons rencontrée, Régine Diyani, directrice de l'AIFE nous le disait déjà : "les fournisseurs ne se bousculent pas au portillon pour dématérialiser leurs factures". C'est ce qui a poussé l'AIFE à organiser un colloque sur le sujet le 14 juin dernier dans les locaux du Ministère des Finances à Bercy : il a connu un beau succès puisque l’amphithéâtre du centre de conférences Pierre Mendès France, qui compte 300 places, était quasiment plein.
La dématérialisation des factures est pourtant un vecteur de gains mutuels, tant pour l'État que pour ses fournisseurs. Pour le premier, l'enjeu est de taille puisqu'il traite annuellement 4 millions de factures dans les différents ministères, ce qui représente un coût significatif. "Il est nécessaire de rendre ces traitements plus efficaces", affirmait Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, qui est intervenu lors de ce colloque, tandis que Véronique Nativelle, du Ministère de la Défense, expliquait qu'"un premier objectif est déjà de réduire à zéro les 20 millions d'euros d'intérêts moratoires que nous payons annuellement".
La dématérialisation est un vecteur de gains mutuels : suppression des coûts d'impression et d'envoi postal, suppression des manipulations de documents, réduction des erreurs et des temps de traitement, garantie de remise des documents. Les gains financiers sont évidents : "certaines de nos factures font 3000 pages", précise Marie-Laure Richoilley, d'Orange Business Services, qui intervenait dans l'une des tables rondes de la matinée. "Nous établissons entre 130 000 et 150 000 factures par an à l'État. En outre, les développements réalisés génèrent aussi des retours indirects, car ils sont réutilisés pour nos autres clients".
Dématérialisation des factures : le point
La matinée a démarré par un point réalisé par Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée du cabinet d'analyse Markess International, sur la base de la dernière étude en date du cabinet sur la dématérialisation, qui date de fin 2012. Après avoir rappelé les diverses approches possibles que sont la dématérialisation fiscale (via EDI, facture électronique signée ou portail), la dématérialisation simple (.pdf ou image, cas nécessitant une version papier) et la numérisation des factures papier des fournisseurs, Emmanuelle Olivié-Paul a indiqué que, si en 2008 seuls 4 % du nombre total des factures étaient dématérialisées et qu'en 2010 on était à 5 %, on enregistrait actuellement une tendance à l'accélération et que d'ici 2014 les projets d’automatisation complète de cette chaîne documentaire étaient nombreux. "Les secteurs d'activité précurseurs sont d'abord la distribution, puis l'industrie et les opérateurs de services, mais la particularité de la France est liée au grand nombre de petites entreprises", expliquait-elle. Parmi les raisons du passage à la dématérialisation, il apparaît que c'est souvent la contrainte (76 %) qui la déclenche, notamment dans la grande distribution. Mais la réduction des coûts et l'amélioration de la qualité sont également des leviers.
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Pour l'analyste, les clés de succès résident, en amont du projet, dans la capacité à être force de proposition envers ses clients, à impliquer les services commerciaux et comptables et à comprendre les besoins et les processus de gestion des flux de factures. Lors du projet en lui-même, qui a un fort impact organisationnel, ces clés sont la bonne gestion des aspects techniques et juridiques et la prise de conscience de l'importance du projet. Elle conclut en disant que "la dématérialisation se poursuit en France, tant du côté clients que fournisseurs et que l'on assiste aujourd'hui à la concrétisation de certaines initiatives".
Le format .pdf possible dès demain
Régine Diyani dresse le bilan des premiers mois de fonctionnement de Chorus, en service depuis le 1er janvier 2012 : "17 millions de documents ont d'ores et déjà été dématérialisés (pas uniquement des factures NdlR), soit 100 millions de pages, ce qui correspondrait à une tour de 10 km de haut". Le CIMAP (Comité Interministériel pour la Modernisation de l'Action Publique) du 2 avril a retenu la dématérialisation des factures comme action prioritaire du plan de modernisation et de simplification des traitements.
L'outil Chorus Factures propose deux modes de transmission : un portail sur lequel les entreprises ne peuvent pour l'instant que saisir leurs factures et suivre leur avancement, et un concentrateur qui permet de transmettre les factures via EDI. Celui-ci se destine surtout aux fournisseurs ayant des volumes importants de factures.
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Il est clair que la ressaisie des factures sur un portail n'enthousiasme pas les fournisseurs, même si celle-ci comporte des avantages par ailleurs, comme la garantie de remise de la facture à la bonne personne (d'où l'accélération de son traitement) ou la possibilité d'en suivre l'avancement. Mais dès juillet 2013, c'est-à-dire ces jours-ci, le portail permettra également de déposer des factures au format .pdf signé sans avoir à les ressaisir. L'initiative a été saluée par l'ensemble des entreprises utilisatrices venues témoigner lors de l'une des tables rondes de la matinée, même si certaines, comme Axus, souhaiteraient que l'État aille encore plus loin et permette de se passer de certificat.
Vers une obligation de dématérialiser ?
Lorsqu'on se penche sur ce qui a cours chez nos voisins européens, on s'aperçoit que la Finlande, la Suède ou encore les Pays-Bas sont bien plus avancés que nous en matière de dématérialisation des factures et que le Danemark a laissé un délai de 4 ans à ses fournisseurs pour dématérialiser leurs factures. Alors, la question d'une possible obligation de dématérialiser se pose logiquement pour la France. "Ce n'est encore qu'une simple hypothèse de travail", rassure le Ministre, "mais j'ai demandé aux administrations concernées de l'étudier de manière approfondie, notamment au regard des délais d'adaptation nécessaires et des modalités techniques et bien entendu en concertation étroite avec les représentants des entreprises. Nous devons en tout état de cause poursuivre et amplifier la démarche incitative qui a été engagée. Les acheteurs de l'État devront ainsi être mobilisés, afin qu’ils préconisent le recours à la facture dématérialisée dans les marchés publics à venir." Pour Jean-Baptiste Hy, directeur du SAE (Service des Achats de l'État), "sachant que 15 fournisseurs représentent 25 % des factures de l'État, il faudra sans doute l'imposer à ceux-là. Mais il y a tous les autres, qui génèrent un très grand nombre de petites factures, y compris des artisans et de nombreuses PME, sur lesquelles il ne faut pas mettre des obligations trop fortes".
À terme, l'objectif de l'État, pour qui le bilan carbone de la dématérialisation est une motivation supplémentaire, est la dématérialisation complète, qui doit autant que possible s'opérer à la source. "D'importants progrès ont été enregistrés en matière de délais de paiement dans les dernières années, mais ils peuvent encore être réduits", commente Bernard Cazeneuve. "Se faire payer dans les meilleurs délais est un enjeu vital pour les entreprises : notre objectif est d'arriver à 20 jours à l'horizon 2017". Pour cela, il faudra aussi faire sauter tous les freins, encore trop nombreux, à la dématérialisation, tels que la résistance au changement, tant du côté des fournisseurs que des services de l'État, la multiplicité des interlocuteurs et la complexité et le nombre des solutions.
Benoît Herr