Pour Jean-Michel Billaut, président fondateur de l'Atelier BNP Paribas, "Notre démocratie représentative 1.0 bat de l'aile". Et de se présenter à LaPrimaire.org pour "mettre la France sur la voie du numérique. Si cette candidature risque fort de faire long feu, le fait est que si la France compte de nombreuses start-up et cerveaux bien faits, elle peine encore à développer le secteur, ce qui fait par exemple déclarer à Jérôme Lecat, CEO de Scality, que "le fait d'aller habiter à San Francisco en 2016 a libéré mes ambitions" (voir Comment financer l'innovation).
Ces dernières semaines, les organisations professionnelles comme Tech In France ou Syntec Numérique, se sont mobilisées pour évangéliser les candidats tenter de faire en sorte que le numérique occupe une place plus prépondérante lors du prochain quinquennat. Certes, après Fleur Pellerin, ministre déléguée aux petites et moyennes entreprises, à l'innovation et à l'économie numérique auprès du ministre du redressement productif, nous avons eu, avec Axelle Lemaire, une secrétaire d'État chargée du numérique auprès du ministre de l'économie et des finances, c'est-à-dire un poste plus circonscrit. Mais toujours dépendant d'un ministre et non pas autonome. En tout cas pas assez pour prendre la mesure des enjeux du secteur. Rappelons qu'en 2014 déjà, le numérique représentait 5,5 % du PIB et 700 000 emplois.
Il faut dire qu'en 2012, la prise de conscience des politiques par rapport aux enjeux du numérique était sans doute encore assez faible. Et si nous attendons 2022 pour mettre en œuvre une vraie politique du numérique, les "licornes" américaines nous auront sans doute mangés tout crus d'ici-là. C'est donc maintenant qu'il faut se mobiliser.
35 propositions
C'est ce que fait Tech In France (ex-AFDEL) en publiant 35 propositions, en plus de celles que l'organisation avait déjà faites en fin d'année dernière pour le financement des start-up (voir Comment financer l'innovation). Parmi celles-ci, on notera, dans le domaine de l'éducation et de la formation, la poursuite du déploiement du Très Haut Débit (THD) dans les écoles ainsi que les équipements numériques, la sensibilisation du public des adolescents aux métiers du numérique en communiquant auprès des professeurs et des conseillers d'orientation, ou encore le rapprochement des représentants des entreprises du numérique des structures dirigeantes du monde éducatif (conseils d'administration, conseils d'orientation, conseils d'évaluation...).
De G. à D. : Bertrand Diard, président de Tech In France, Corinne Erhel, députée des Côtes-d'Armor et Laure de La Raudière, députée d'Eure-et-Loir
Remarquons qu'en matière de très haut débit la France se place aujourd'hui en 26ème position, derrière le Royaume-Uni (9ème), l'Allemagne (13ème) ou l'Espagne (17ème), alors qu'en 2012, notre pays était en avance sur ses partenaires européens. En outre, les disparités sont criantes selon le territoire : seulement 30 % des habitations des zones rurales ont aujourd'hui accès au très haut débit, contre plus de 65 % en zone urbaine. Pour Tech In France, il faut créer un contexte propice au développement rapide de la fibre comme utility de base pour les PME et les start-up.
En matière de régulation et de circulation des données, Tech In France propose de mieux accompagner les entreprises françaises du numérique dans leur démarche de mise en conformité aux textes européens et de permettre, à travers des accords juridiques internationaux, la libre circulation des données entre les États en veillant à établir des exceptions pour les données sensibles et à garantir le respect de la vie privée.
Soutenir un écosystème favorable aux initiatives liées au Big Data et aux smart cities, le numérique comme opportunité pour la culture, ou encore une fiscalité plus incitative pour la transition numérique et l'industrie du futur sont quelques uns des autres thèmes abordés dans ce fascicule bourré de propositions.
À noter que Laure de La Raudière, députée Les Républicains d'Eure-et-Loir, et Corinne Erhel, députée socialiste des Côtes-d'Armor et soutien d'Emmanuel Macron, ont chacune fait une allocution à l'occasion des vœux de Tech In France. Si chacune a bien sûr prêché pour son candidat, elles se rejoignent sur leur discours concernant le numérique. Il faut dire que les deux femmes, bien que de bords politiques opposés, travaillent ensemble sur le sujet du numérique depuis des années. Elles rejoignent également le discours de Bertrand Diard, président de Tech In France, qui estime que "la technologie est potentiellement l'un des facteurs différenciants de la France". Pour Corinne Erhel, "Il faut développer une culture du numérique". Les start-up ne sont pas les seules concernées : c'est toute la société numérique qu'il faut construire, et porter plus haut le numérique au niveau européen", ajoute Laure de La Raudière.
Cahiers de campagne
De son côté, Syntec Numérique souhaite également interpeller les candidats et les pouvoirs publics en faisant des propositions concrètes, propositions présentées sous forme de cahiers de campagne. Le premier s'intitule "Industrie du futur - transformer l'industrie par le numérique" et présente 10 réponses aux enjeux de la transformation numérique des entreprises industrielles. Le deuxième est tourné vers cette autre priorité majeure qu'est la formation et s'intitule "Education et formation - réinventer la formation grâce au numérique". Il présente aussi 10 propositions qui portent sur la création d'une filière du numérique éducatif, la formation initiale, la formation supérieure et la formation continue. Deux autres de ces cahiers portant sur l'e-santé et sur la ville connectée, restent à venir.
Sur le sujet de la transformation par le numérique, Syntec propose trois grandes thématiques :
- l'innovation : simplifier l'accès des entrepreneurs aux dispositifs existants, mettre en place des expérimentations concrètes, créer des plateformes d'innovation collaborative ;
- la fiscalité et les normes : consolider le CIR (Crédit Impôt Recherche), stabiliser l'environnement fiscal, créer un crédit d'impôt cybersécurité, harmoniser les normes et standards ;
- l'emploi et la formation (créer une commission d'aide au recrutement, développer des filières de formation).
Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique
Sur le sujet de la formation, le syndicat propose :
- la création d'une filière du numérique éducatif pour poursuivre les objectifs ambitieux du Plan Numérique à l'Ecole ;
- la formation initiale, de la primaire au lycée, pour faire entrer le numérique dans un socle commun de compétences de l'ensemble des Français ;
- la formation supérieure : du diplôme de Bac +2 au doctorat, afin de développer des offres de formation en adéquation avec les besoins et les attentes des entreprises, et faciliter l'insertion des étudiants sur le marché de l'emploi. ;
- la formation professionnelle continue, qui s'adresse à des publics différents, tout au long de la vie.
Pour Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique, "Il faut un travail de maturation de la part des politiques, mais aussi obliger l'Europe à prendre des positions. Fillon et Macron, qui sont les deux candidats que je connais le mieux, ont une vraie appétence pour le numérique". Il y a donc de l'espoir... "Ce qui nous fait défaut, c'est la capacité à nous transformer. Il faudrait réaliser notre transformation avec une rapidité et une conviction qui ne sont pas celles d'aujourd'hui. D'autant que nous avons des atouts, en France, comme par exemple la gestion de l'identité numérique, les paiements ou encore la santé. Il faut que nous pesions de tout notre poids", ajoute-t-il.
En ordre dispersé
Syntec a également créée, avec huit autres organisations dont Tech In France (ainsi que l'ACSEL, Cap Digital, FEVAD, France Digitale, Renaissance Numérique, le SNJV et Systematic Paris-Region) le collectif France Numérique 2017, avec le même objectif : sensibiliser les partis politiques et les candidats à l'élection présidentielle de 2017 aux enjeux économiques et sociaux que représentent le numérique, secteur créateur d'emplois, pour la France.
Si la volonté de promouvoir le numérique est bien réelle pour les deux organisations évoquées ci-dessus et celles du collectif France Numérique 2017, elle l'est sans doute tout autant pour de nombreuses autres, qui ont eu la même démarche. Leur nombre à lui seul signe par ailleurs le morcèlement du secteur. Certaines ont même voulu présenter un candidat numérique à l'élection. Mais ces initiatives ont le plus souvent été tuées dans l'œuf ou ont avorté, faute de soutiens. Nous sommes en effet en France, où l'aspect "village gaulois" reste encore très présent. "Nous nous parlons, avec les autres organisations", assure Godefroy de Bentzmann. Malgré cette unité de façade, la division semble rester le modus vivendi, chacun tentant de tirer la couverture à soi. Espérons que le fait de se parler sera suffisant...
À noter toutefois qu'une matinée de débats avec les acteurs du numérique et les équipes de campagne est proposée le 9 mars prochain par le collectif France numérique à la maison de la mutualité, pour décrypter les enjeux de la technologie dans la société.
Benoît Herr