Un récent débat du club de la Presse informatique B2B traitait de l'intelligence artificielle et de son "bras armé" qu'est le "machine learning". Autour de la table se trouvait notamment Bertrand Braunschweig, directeur du centre de recherche Inria de Saclay – Île-de-France, qui a entre autres été le conseiller du président-directeur général d'Inria dans le domaine de l'Intelligence Artificielle (IA). Parmi les autres intervenants, également prestigieux, Cyrille Bataller, directeur de l'intelligence artificielle chez Accenture monde, Valérie Perhirin, Big Data & Analytics lead chez Capgemini, Mourad Sadok, en charge de l'équipe de consultants techniques chez Unit4, Stéphane Roman, sales consulting director Big Data, Analytics, Middleware & Security chez Oracle et Stéphane Rion, principal Data Scientist, France Analytic Business Consulting chez Think Big/Teradata.
Qu'est-ce que l'IA
De manière très didactique et pédagogique, Bertrand Braunschweig a dépeint le monde de l'IA, une discipline née dans les années 1950 mais qui prend de l'ampleur ces derniers temps non seulement avec Watson d'IBM ou Google Deepmind Alphago, qui commencent à gagner contre l'Homme aux jeux de Go ou à Jeopardy, mais aussi avec des applications plus proches de nous, comme l'assistant personnel de Facebook, par exemple, qui utilise l'apprentissage pour décrire des images, Microsoft Skype Translator ou encore Siri d'Apple. Il mentionne aussi le Knowledge Graph de Google, qui utilise la sémantique pour produire des résultats structurés (résultats que l'on retrouve dans la partie droite de l'écran lorsqu'on fait une recherche).
Schéma 1
Les investissements récents ont aussi été évoqués (cf. Schéma 1), avec des noms comme Google, Amazon, Facebook, bien sûr, mais aussi Salesforce, eBay, Samsung, Yahoo... "Tous ces gens-là apportent un énorme mouvement, un mouvement auquel la France participe", commente Bertrand Braunschweig.
En termes de méthodes, "il y a deux grandes classes de méthodes", explique Bertrand Braunschweig. "Les modèles 'faits à la main', dans lesquels on interroge les experts et on établit des règles, des graphes, des arbres de connaissance. "Ça prend un temps fou et c'est très coûteux, mais l'avantage est que c'est explicable, parce qu'on peut tracer le raisonnement", remarque l'expert. L'apprentissage automatique est moins onéreux et passe par les réseaux neuronaux, mais aussi par l'apprentissage par renforcement et les algorithmes évolutionnaires. "Mais ce sont des boites noires et on ne sait pas dire pourquoi la machine est arrivée à telle ou telle conclusion", déplore Bertrand Braunschweig.
En conclusion, l'expert de l'Inria définit l'IA comme "faire faire à des machines des comportements qui pourraient être humains. On peut aussi la définir à travers les grands domaines qu'elle concerne". Cyrille Bataller quant à lui, la définit au travers de quatre verbes : percevoir comprendre, agir et apprendre. "Ce sont des systèmes informatiques qui se comportent comme des personnes, qui émulent le comportement humain, qui sont capables de comprendre le langage naturel, la voix, de voir, de reconnaître des émotions, des visages etc. Ils simplifient aussi l'interaction entre la machine et l'Homme : il n'y a plus besoin d'apprendre des syntaxes, de taper sur des claviers etc.". Pour Valérie Perhirin, de son côté les deux composantes majeures sont réfléchir et apprendre.
"La technologie fondamentale qui est derrière l'IA, c'est le machine learning, c'est-à-dire être capable d'apprendre à des machines à se comporter et à fournir un service relativement répétitif, comme la conduite autonome, par exemple. Et la machine apprend au fur et à mesure", précise Cyrille Bataller. "Quant à ce qu'on appelle le 'deep learning', c'est une sous-discipline du machine learning, qui utilise les réseaux neuronaux : on essaye d'imiter la façon de raisonner du cerveau humain, avec plusieurs étapes successives d'apprentissage" - "Le deep learning met à profit l'apprentissage via des réseaux neuronaux multi-couches, avec une entrée, une sortie et une couche intermédiaire de connexion, ce qui ouvre plus de possibilités", ajoute Bertrand Braunschweig.
Applications concrètes
Dans la pratique, l'IA trouve dès aujourd'hui des applications nombreuses dans la vie quotidienne, que certains des intervenants au débat ont déjà mis en œuvre. Un sujet, hélas d'actualité, concerne la détection de comportements suspects dans des lieux publics : le système de contrôle va décomposer les vidéos de surveillance et si une personne abandonne un bagage, il va le détecter et remonter une alerte. Si par contre la personne s'éloigne de son bagage alors qu'elle était initialement accompagnée et que les autres membres du groupe restent sur place, il n'y aura pas de remontée d'alerte.
Valérie Perhirin relate un projet mené par Capgemini à la caisse nationale d'allocations familiales pour détecter des fraudes. L'approche mise en œuvre a permis de percer à jour des aberrations comme une personne touchant le RSA qui déclarait par ailleurs un patrimoine assez élevé ou des personnes ne vivant pas sous le même toit, n'ayant pas le même nom, mais ayant un enfant en commun pour lequel ils touchent plusieurs fois des allocations. "En huit semaines, nous avons sorti l'équivalent de 48 millions d'euros de fraudes avérées", précise-t-elle. "Ce qui compte, c'est de se poser les bonnes questions". Elle cite aussi le cas des douanes françaises, pour lesquelles le projet a consisté à fournir un outil permettant au douanier d'accélérer la détection de fraudes à la TVA dans les ports et aéroports. "Nous avons réalisé un outil mobile et Open Source rendant le douanier autonome. Au bout de trois mois, les résultats étaient conséquents, mais les chiffres ne peuvent malheureusement pas être divulgués. L'idée est de partager les savoir-faire des douaniers les plus performants et de faire apprendre au système de ces savoir-faire".
Mourad Sadok explique que dans les solutions proposées par Unit4 on utilise l'IA dans le cadre de la gestion des notes de frais : "si l'on se trouve devant une photo de note de restaurant manuscrite, par exemple, l'application va apprendre à reconnaître l'écriture en question pour que la fois suivante la reconnaissance soit plus automatique". Mais chez Unit4, l'IA est surtout utilisée dans dans l'assistant personnel, qui avait été lancé lors de Connect 2016 (cf. World on !). Baptisé Wanda cet assistant, couplé à la reconnaissance vocale, apprend au fur et à mesure, à l'instar de ce qui se passe chez les humains. "Si par exemple je demande à Wanda de me commander un billet de train pour Lyon, la machine va également me proposer un hôtel à Lyon", explique Mourad Sadok. "Et si le système se 'rend compte' que je vais souvent à Lyon, il va me proposer le même hôtel de manière récurrente et faire la réservation automatiquement. Il 'sait' aussi si cette catégorie d'hôtel est susceptible d'être validée par le manager ou non". Le système apprend de ses erreurs exactement de la même façon que les humains. Ici, l'exemple est simple, mais l'assistant est capable de gérer des situations plus complexes, comme des décomptes d'heures par exemple.
Les portillons de contrôle de passeports automatisés utilisent la reconnaissance faciale. Pour Cyrille Bataller, "ce qui est intéressant c'est de comparer la fiabilité de ces systèmes avec le traitement par les gardes-frontières. Dès 2006, les algorithmes de reconnaissance faciale ont été plus précis que les personnes". Il subsiste néanmoins un pourcentage d'erreurs, de l'ordre de 0,01 %. "Et il faut placer le curseur au bon niveau pour éviter les faux positifs. L'intérêt de l'IA est de réaliser des traitements en masse".
Parmi les autres applications de l'IA, on peut citer les filtres de spam ou de nombreuses applications dans le domaine des ressources humaines, comme la réduction du taux de turn-over des employés d'une entreprise.
Pour Cyrille Bataller, "l'IA sera encore plus disruptive que la transformation numérique. La grande différence avec les systèmes informatiques classiques, c'est qu'un système IA apprend en permanence". Un nouveau défi technologique se profile donc à l'horizon et tout comme pour l'Internet des Objets (IoT – voir Quand l'IoT rejoint la gestion), le DSI va devoir intégrer les possibilités de l'IA dans ses réflexions.
Benoît Herr