La dématérialisation des factures est en marche, et rien ne pourra l'arrêter. Selon l'enquête réalisée entre juillet et septembre derniers par la plate-forme Best Practices SI pour le compte de l'éditeur Generix Group, auprès de plus d'un millier d'organisations de toutes tailles et tous secteurs, la pratique serait en effet déjà très répandue et devrait s'étendre rapidement. Et ce, tant pour les flux entrants que sortants, c'est à dire les factures reçues des fournisseurs que celles envoyées aux clients. Deux tiers des 170 entreprises ayant répondu au questionnaire déclarent ainsi être équipées d'au moins une solution de dématérialisation fiscale, qui tend à s'imposer en permettant de remplacer les originaux papier, qu'elles utilisent dans 56 % des cas depuis quatre ans ou plus. Un duo composé de la direction financière et de la DSI est le plus souvent en charge de la mise en œuvre du dispositif. Parmi les entreprises qui ne sont pas encore équipées, 71 % annoncent avoir un projet de déploiement dans les deux ans à venir.
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Partant de ce constat, "100 % des quelque deux milliards de factures échangées chaque année en France entre les entreprises devraient être dématérialisées dans cinq ans, dix au maximum", pronostique Christophe Viry, product marketing manager des offres d'intégration et de collaboration inter-entreprises chez l'éditeur. De rappeler les trois voies recommandées par le législateur pour respecter les obligations réglementaires en matière de création des originaux fiscaux : transmission d'un message structuré (de type EDI ou XML), envoi d'un fichier signé électroniquement (image, document .pdf, etc.), ou "toute autre solution technique" dès lors que des contrôles documentés et permanents permettent d'établir une "piste d'audit fiable" entre la facture émise ou reçue et la livraison de biens ou prestation de services qui en est le fondement.
Encore une importante résistance au changement
Pour les entreprises qui pratiquent régulièrement la dématérialisation fiscale de leurs factures, deux motivations principales ressortent, sans surprise : la volonté de répondre aux exigences de certains clients (59 % de citations) et la recherche de productivité (51 %). Suivent la volonté de réduire les coûts de production des factures et la recherche de bénéfices métiers (rapprochement automatique avec les commandes, gestion optimisée de la trésorerie, diminution des litiges, etc.). Puis des motivations relatives au respect des obligations règlementaires, en particulier pour les entreprises travaillant avec les collectivités locales, les établissements publics et services de l'État, selon l'échéancier planifié en quatre étapes. "Avec le projet Chorus Pro, en application de l'ordonnance du 26 juin 2014, la dématérialisation des factures envoyées au secteur public est devenue obligatoire pour les grands comptes le 1er janvier dernier", rappelle Christophe Viry. "Elle le sera pour les ETI dans quelques semaines, le 1er janvier 2018, puis pour les PME en 2019 et enfin pour les microentreprises en 2020". (voir aussi Satisfecit général autour de Chorus Pro) En revanche, précise-t-il, "la réglementation française qui voulait également imposer aux donneurs d'ordres d'être en mesure d'accepter les factures au format électronique, dans le cadre d'un amendement à la Loi Macron, selon le même calendrier, n'a finalement pas été validée par la Commission européenne".
Christophe Viry, product marketing manager des offres d'intégration et de collaboration inter-entreprises chez Generix Group
Voilà pour un premier niveau d'analyse. Mais se contenter des taux d'équipement et des intentions de déploiement serait un peu rapide. Car il y a aussi le verre à moitié vide, avec un niveau d'usage relativement faible : près de trois quarts des entreprises en capacité de répondre (une sur six "ne sait pas") ont encore plus de 50 % de leur volume de factures à dématérialiser. Seules 8 % pratiquent déjà la dématérialisation pour plus de 75 % de leurs factures. Dans la majorité des cas, les projets se limitent aux flux sortants et portent rarement sur les deux typologies de factures. "En comparaison avec la date depuis laquelle la solution est déployée, ces chiffres montrent l'effort d'enrôlement que nécessite un projet impliquant des contreparties clients ou fournisseurs", commente Christophe Viry. Le manque de temps (28 % de citations) et le fait qu'il existe d'autres priorités (37,5 %) arrivent d'ailleurs en tête des raisons invoquées par les entreprises qui n'utilisent pas de solutions de dématérialisation. Autres réponses : les volumes de factures trop faibles, un manque d'expertise interne, le coût de déploiement trop élevé, le retour sur investissement incertain. Une entreprise sur huit (12,5 %) indique également que les utilisateurs souhaitent continuer de travailler "à l'ancienne", une réponse que l'on retrouve parmi les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des projets de dématérialisation : près d'un quart (24 %) des entreprises équipées pointent en effet la résistance au changement.
Des gains supérieurs pour les factures entrantes
Les principales difficultés à gérer lors des projets sont toutefois ailleurs. Les problèmes d'intégration dans le système d'information (38 % de citations) et d'implémentation (33 %) arrivent largement en tête, suivi des coûts de mise en œuvre (31 %). Pour 29 % des entreprises équipées, la sélection du bon prestataire peut aussi s'avérer complexe, sur un marché où la concurrence fait rage. Parmi les acteurs de la dématérialisation fiscale des factures, l'analyse des réponses à l'enquête révèle la présence de nombreux opérateurs ou éditeurs et une offre de services très large. À la question portant sur le ou les prestataires retenus, les entreprises effectuent généralement des amalgames entre les différents acteurs impliqués, dans plusieurs catégories : solutions de numérisation des factures papier, logiciels de workflow ou de rapprochement de factures, ERP ou encore outils de signature électronique. Une trentaine de noms sont cités, mais pour la plupart par seulement une ou deux entreprises utilisatrices.
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Deux acteurs ressortent en totalisant chacun environ 22 % des réponses, B-Process (groupe SAP) et Generix Group, suivis d'une kyrielle de concurrents : Agena, Cegedim, Edicom, EDT, Esker, IBM, Lexmark (Readsoft inclus), TrustWeaver, Tungsten (OB10 inclus). "Plusieurs acteurs commencent aussi à se faire une place, tel Tradeshift par exemple. Mais l'accélération des déploiements liée aux échéances réglementaires de Chorus Pro et à l'arrêt programmé de BillManager par SAP insuffle une bonne dynamique sur le marché", observe Christophe Viry, qui indique que Generix aura accueilli plus de 800 nouveaux clients sur sa plate-forme en 2017. Pour se démarquer, chacun cherche à ajouter des services complémentaires à son offre : l'archivage à valeur probante, déjà souvent proposé, mais aussi des services financiers (affacturage, dynamic discount, etc.), la réconciliation facture-commande, la vérification des coordonnées bancaires, la gestion des litiges, la collaboration à travers un portail clients ou fournisseurs, etc. D'ailleurs, l'intégration de nouvelles fonctionnalités fait partie des toutes premières pistes d'évolution des solutions en place, citée par 30 % des entreprises équipées. Elle est devancée par l'ajout de nouveaux partenaires (37 %) et l'extension du périmètre d'utilisation (35 %) à des flux de factures supplémentaires.
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En attendant, et en dépit des obstacles à surmonter, les entreprises qui ont adopté la dématérialisation fiscale des factures se félicitent des nombreux bénéfices obtenus. Des bénéfices métiers, d'abord, grâce aux avantages qu'apportent l'automatisation et les outils associés : la traçabilité du processus, la sécurité des opérations ou la facilité et la rapidité d'accès aux informations sont plébiscités dans plus de 50 % des cas comme ayant un impact fort ou très fort. Mais également des bénéfices économiques, par la réduction des coûts de production et de traitement des factures. À quelle hauteur ? "Comme souvent, lorsqu'il s'agit d'estimer ou de chiffrer les gains, beaucoup d'entreprises n'y parviennent pas ou n'ont pas mis en place les indicateurs adéquats", regrettent les auteurs de l'étude. Pour celles qui les ont mesurées, les économies sur les flux entrants restent plus importantes que pour les flux sortants : la moyenne s'établit entre 2 et 4 euros par facture, atteignant même 8 à 10 euros pour 30 % des répondants. Dans le cas des flux sortants, plus de la moitié des répondants estiment leur gain en dessous de 2 euros par facture.
Thierry Parisot