Alors que l'on baptisait déjà 2019 "année du cloud" et qu'effectivement cette année s'est révélée décisive pour l'adoption du cloud (voir par exemple Une vision de l'ERP élargi), certains affublent déjà 2020 du même qualificatif. Car le cloud est un terreau propice au nouvelles technologies en général, à celles qui concernent l'ERP en particulier, notamment l'IA ou l'IoT. Le dernier "baromètre de satisfaction des utilisateurs de logiciels de gestion" de CXP teknowlogy Group illustrait déjà la tendance fin 2018 (voir Etude CXP 2018 : les ERP progressent dans le cloud), une tendance qui n'a eu de cesse de se confirmer depuis, que ce soit au travers des diverses autres études, des témoignages des utilisateurs ou des déclarations des éditeurs, qui pour la plupart affirment que l'essentiel des ventes et des projets qu'ils font sont dans le cloud.
Si celui-ci représente sans doute la plus importante évolution technologique de ces deux dernières décennies et joue le rôle de facilitateur des autres nouvelles technologies, certaines voix s'élèvent toutefois pour dénoncer un mouvement quelque peu artificiel vers le cloud. C'est le cas d'Eric Kimberling, président et fondateur du cabinet américain indépendant spécialisé dans l'ERP Third Stage Consulting (et ex-Panorama Consulting Group). Il ne craint pas d'expliquer que "ce mouvement vers le cloud arrange bien les investisseurs et subséquemment les éditeurs et les intégrateurs. Quant à savoir si le cloud est la bonne solution pour votre organisation, c'est une autre histoire. En tout cas, je ne pense pas que ce soit la bonne réponse pour tout le monde, pour la bonne et simple raison que l'ERP ne peut pas tout faire pour tout le monde". Il mentionne les éditeurs "cloud natifs" comme Netsuite, Salesforce ou encore Worday, dont les outils qu'il qualifie "de niche" font sens. "Mais les grosses entreprises ayant utilisé de gros ERP pendant des décennies ne vont pas basculer vers le cloud en un claquement de doigts. Il y a beaucoup de complexités dans cette démarche, comme la localisation des données par exemple".
Quoi qu'il en soit, alors qu'il y a quelques années encore on pouvait avoir des raisons d'être sceptique, le mouvement vers le cloud est là et bien là. Le cloud constitue un excellent support si par exemple on a des besoins ponctuels de puissance de calcul (la fameuse "scalabilité" du cloud), notamment pour les applications relevant de l'Intelligence Artificielle (IA). Son caractère ubiquitaire est aussi intéressant, notamment les entreprises ayant une présence mondiale ou au moins dans plusieurs endroits.
Le cloud est tiré par le SaaS, une option de déploiement plus rapide et conviviale, notamment des nouvelles technologies. Entre SaaS et cloud, le visage de l'ERP et sa finalité initiale même se voient transformés bien au-delà de ses origines MRP ou même de gestion financière, de la gestion commerciale ou de la logistique. Le SaaS est au centre du démantèlement de l'architecture ERP traditionnelle et monolithique au profit de ce qu'on appelle l'ERP post-moderne. Pour Denise Ganly, analyste chez Gartner, "l'ERP ne concerne même plus ni les ressources ni le planning mais est devenu bien plus global et pourrait être appelé 'holistic enterprise business capabilities'".

Ce sont aussi le cloud et le SaaS qui permettent l'intégration des technologies émergeantes comme l'IA dans l'ERP ainsi que l'ouverture vers d'autres systèmes. C'est l'ERP de nouvelle génération, ou, chez Gartner, la quatrième ère de l'ERP ou EBC (Enterprise Business Capabilities) (que nous avons déjà évoqué ici : Vers l'Enterprise Business Capabilities (EBC)).
Là encore, Eric Kimberling prend le contrepied de la tendance générale et souligne que la plupart des solutions proposées sont immatures et pas au point. "Les fonctionnalités ne sont pas là ou elles sont incomplètes. Bien souvent, les éditeurs ont une roadmap de deux ou trois ans pour fournir des fonctionnalités qui existaient déjà dans leur solution on-premise. Malgré cela, les éditeurs forcent leurs clients à passer dans le cloud, parce que c'est plus profitable pour eux", insiste-t-il. Une position tranchée, un point de vue fort, que craignent sans doute les éditeurs, qui, pour la plupart, affirment que le client conserve le choix. Ajoutons à cela que nombre de solutions ERP labellisées "cloud" ne sont pas – ou pas encore – des solutions conçues pour cet environnement mais uniquement une transposition des solutions on-premise existantes.
Une autre tendance forte est le mouvement vers les cloud publics, y compris pour les ERP, parfois en multi-tenant (ou "multi-locataires", dans laquelle une seule installation est partagée par toutes les organisations utilisatrices), même si ce n'est pas encore la majorité. Dans ce dernier cas, si les montées de versions sont transparentes pour l'utilisateur, la possibilité de personnaliser ou de modifier le logiciel n'existe plus non plus. Si certains peuvent vivre cela comme un inconvénient, la manière positive de le voir est que cela force l'organisation à mettre en place des processus standardisés. De son côté, Eric Kimberling continue de jouer les Cassandre à ce sujet : "il y a donc moins de souplesse, avec le multi-tenant, ce qui crée une crise en matière de gestion du changement, une pression pour modifier l'organisation. Ça crée aussi une crise sur les coûts à long terme, à tel point que je me demande jusqu'où on en reviendra aux installations on-premise".
Plus d'automatisation, plus "d'utilisateur", plus d'IA
L'une des grandes tendances à l'heure actuelle, c'est la RPA (Robitic Process Automation), c'est-à-dire l'automatisation par un robot logiciel de tâches répétitives généralement réalisées par des personnes, et sa petite sœur les "chatbots" (ou assistants intelligents). Toutes technologies relevant de l'IA. L'ERP est un bon candidat pour ce genre d'automatisation parce que nombre de tâches qu'il accomplit concernent la collecte de données, leur présentation et leur diffusion.
Depuis longtemps, les éditeurs ont tenté de rendre l'ERP plus convivial et de simplifier les enchaînements d'écrans, de crée des "chatbots" pour gérer des tâches répétitives ou interagir avec un tiers. Les interfaces voix/machine pour entrer des ordres ou de la donnée dans le système sont une autre tendance. L'IA, le machine learning et les interfaces en langage naturel sont autant de nouvelles façons d'interagir avec l'ERP ou de faire faire à la machine ce qu'elle sait faire et généralement bien faire. À l'heure actuelle, si la plupart des éditeurs proposent des plateformes d'IA pour que les entreprises développent leurs propres applications "intelligentes", la plupart intègrent aussi de l'IA pour gérer des tâches à faible valeur ajoutée. En fait, ils se cherchent encore pour déterminer la meilleure façon d'utiliser l'IA, une situation qui devrait se décanter dans les années qui viennent.
L'ERP au centre de la transformation numérique de l'entreprise
L'ERP se réinvente et évolue : s'il a toujours été la colonne vertébrale du SI de l'entreprise, il va continuer à rester la colonne vertébrale du SI. L'ERP transformé, transfiguré, de nouvelle génération (ou autres appellations ; choisissez celle que vous préférez), de plus en plus dans le cloud, va demeurer l'élément central. Et quel meilleur support à la transformation numérique de l'entreprise qu'un élément central et stable, en relation toutefois avec les autres systèmes, les partenaires extérieurs et les clients ?
Benoît Herr